En huile ou graines, le chanvre s’invite dans nos cuisines

La plante a un potentiel gastronomique inépuisable. Pour apporter du croquant à des légumes et du peps aux desserts. Autre point fort : elle se cultive en France et sans pesticide.

Tu veux du chanvre ? La proposition est tout à fait honnête et plus recommandable qu’il n’y paraît. Le cannabis sativa L, appelé industriel ou agricole, se distingue de son cousin le cannabis par une teneur infinitésimale (inférieure à 0,2 %) en THC (la molécule responsable de l’effet psychoactif), mais possède de nombreux autres atouts, dispensés en toute légalité.

Avant d’être valorisé à des fins gustatives, le chanvre possédait déjà un nombre impressionnant de cordes à son arc. Rien ne se perd dans cette plante tout à la fois fibreuse, ligneuse et oléagineuse, cultivée depuis le néolithique. Ses fibres sont bien connues pour leur usage textile (cordages, toiles…) mais aussi dans la papeterie, l’isolation ou la plasturgie. On utilise son bois (appelé chènevotte)  dans l’écoconstruction, mais aussi en tant que litière animale et paillage horticole ou vinicole. Tandis que ses graines (appelées chènevis) servent à l’alimentation animale (pour les oiseaux surtout) et à la fabrication d’huile, alimentaire ou cosmétique.

Le chènevis (graine de chanvre) offre une grande richesse en protéines végétales

Si elles se faufilent aujourd’hui jusqu’à nos cuisines, c’est parce que ces graines ont du goût, du caractère, mais aussi un intérêt nutritif remarquable. Volontiers qualifiées de « superaliment », elles cumulent une grande richesse en protéines végétales et un profil lipidique intéressant. Autre point fort : le chanvre agricole se cultive en France et sans pesticide, que ce soit en conventionnel ou en bio. « Il s’agit d’une plante robuste et résistante, qui ne nécessite pas de traitement chimique, explique Alexandre Dormoy, producteur en conversion bio à Dancevoir (Haute-Marne). C’est un gage de qualité pour les produits qui en sont issus (graines et tiges), et une des raisons pour lesquelles, après avoir fortement décru dans l’après-guerre, son marché repart à la hausse en France. »

En magasin bio, il faudra choisir entre des graines entières (ovoïdes gris-brun, à mi-chemin entre des lentilles vertes et du sarrasin kasha), des graines décortiquées (écrues avec des particules vertes, proches du sésame blanc) ou de l’huile d’un beau vert soutenu (en petit flacon de verre foncé, pour éviter son oxydation). Plus rare, la farine de chanvre, brune et dépourvue de gluten, vient du « tourteau » obtenu lors du broyage des graines pour la fabrication de l’huile. Pour compléter l’épicerie du parfait consommateur de chanvre, citons les succédanés de produits laitiers et diverses boissons, dont des bières aux notes florales et citronnées.

Goût de noisette à un muesli, une tarte, des crudités

Le chanvre alimentaire s’introduit par petites touches car son parfum herbacé s’avère puissant, surtout dans l’huile – utilisable à froid uniquement. M. Dormoy conseille de l’associer à de l’huile de colza ou de tournesol dans une vinaigrette. « C’est très bien aussi pour assaisonner des légumes verts ou donner un coup de fouet à des pommes de terre sautées. Avec une cuillère à soupe d’huile de chanvre en fin de cuisson, on dirait des pommes de terre nouvelles… » Les graines entières (meilleures torréfiées) ou décortiquées apportent du croquant et un petit goût de noisette ou d’amande à un muesli, un granola, une tarte, un cake, un crumble, de simples crudités ou des légumes rôtis…

Pour se convaincre du potentiel gastronomique du chanvre, il suffit d’écouter l’engouement qu’il suscite chez deux chefs pâtissières de grand talent.

Claire Heitzler raconte avoir dû réaliser un macaron au chanvre quand elle était chez Ladurée pour des clients américains amateurs de « super food ». Elle a « trouvé l’expérience intéressante, à la fois en texture et en goût ». « Le produit m’a vraiment plu, témoigne-t-elle, et j’ai cherché ensuite à l’utiliser différemment. » Sur la scène du festival Omnivore, à Paris, en mars, elle a présenté un baba aux agrumes et au chanvre, utilisant ce dernier sous trois formes : de l’huile dans la pâte du baba, des graines décortiquées dans un pesto, des graines entières infusées dans une chantilly… Au-delà, elle confie avoir pris l’habitude de parsemer ses salades de graines décortiquées. Elle se dit convaincue que « ce produit, encore mal connu, est promis à un bel avenir car les habitudes alimentaires changent : ses atouts sont incontestables au moment où l’on essaie de faire baisser la part des protéines animales. »

De son côté, Jessica Préalpato, chef pâtissière du restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée à Paris, s’intéresse surtout à l’amertume apportée par la petite graine, « avec un petit côté piquant en fin de bouche ». « J’ai choisi de l’associer, sous forme de condiment et de glace, à l’acidité du pamplemousse et de l’orange, dans le dessert proposé à la carte, explique la jeune chef. Mais le chanvre, un peu à la manière du sarrasin, peut se marier avec beaucoup de choses : les fruits, en premier lieu, surtout les fruits rouges et les agrumes, et même le chocolat si on choisit une variété pas trop amère… » Suivons donc les conseils de ces dames en offrant un cortège de chanvre aux petits nouveaux du printemps : premières fraises et rhubarbe rustique, mais aussi timides asperges, auxquelles les graines décortiquées fourniront un manteau de panure épatant, pour ne pas dire stupéfiant.

Article initialement publié sur www.lemonde.fr.